J'entends dire parfois que le jazz est une musique de vieux ou de ringards. Ou une musique exigeante, compliquée, absconse. Soit, ce n'est pas Britney Spears ni Lady Gaga au niveau de la niaiserie et de l'écho médiatique qu'elles suscitent. Mais de là à ranger l'animal jazz, sous ses diverses peaux et fourrures, dans la catégorie des espèces en voie d'extinction, il y a un grand pas que toute personne un tant soit peu honnête ne saurait franchir après s'être penchée sur la question. Il n'y a qu'à contempler la cohorte de jeunes musiciens qui, en Europe du Nord et ailleurs, s'emparent de cette matière pour la malaxer à leur manière. Il en ressort des créations qui perpétuent le jazz ou repoussent ses frontières aux confins des territoires amis, électronique, expérimental, folk, funk, voire pop.
Mais pour ne pas se laisser inonder par la soupe insipide qu'on nous sert et nous ressert le plus souvent sur les radios commerciales, autant s'y prendre tôt. Pourquoi ne pas familiariser les plus jeunes avec le jazz? Dans le tas, il y en a certainement quelques-uns qui garderont une oreille amicale à son égard, voire tenteront d'en jouer à leur tour.
L'an dernier, Fasching, le plus réputé des clubs de jazz de Stockholm, avait proposé à Lina Nyberg de chanter pour des enfants lors d'un concert en après-midi. Jazz en herbe! Elle avait choisi l'histoire de Den olydiga ballongen (Le ballon désobéissant), chantée en son temps par une des vétérans de la scène jazzo-variétoche suédoise, Alice Babs. Succès assuré parmi le public en culottes courtes du Fasching:
Lina Nyberg a ramené son facétieux ballon le 10 juin dernier, lors du festival de jazz de Stockholm. Avec le même objectif. "Lorsque je chante Den olydiga ballongen, la plupart des enfants font semblant de jouer eux aussi de la trompette et de la contrebasse. Ce sont nos futurs musiciens, le futur public. Peut-être pouvons nous leur faire découvrir la musique et les instruments et leur faire comprendre qu'un solo de jazz n'a rien de dangereux...", expliquait la chanteuse au journal Svenska Dagbladet la veille du concert.
Dans ce même article, le contrebassiste Georg Riedel, grand monsieur du jazz suédois mais aussi compositeur prolixe de musique pour enfants, fait remarquer que ces derniers sont souvent moins enclins que les adultes à critiquer une musique qu'ils trouvent étrange.
Riedel, pour ceux qui ne connaissent pas, est l'un des musiciens ayant enregistré le fameux disque Jazz på svenska, sorti en 1964 sous le nom de Jan Johansson, pianiste plus que prometteur, mort dans un accident de voiture à l'âge de 37 ans. Un grand classique du jazz nordique, plongeant dans le swing des mélodies traditionnelles suédoises, tout comme Jacques Loussier le fit peu de temps avant avec J. S. Bach. Né en Tchécoslovoquie, Riedel est aussi l'homme ayant écrit la musique de films retraçant les exploits de Pippi Långstrump (en français Fifi Brindacier) et consorts, les personnages créés par Astrid Lindgren.
A la demande des organisateurs du festival de Stockholm, Riedel a également donné un concert destiné aux familles dans lequel il a repris plusieurs de ses compositions, que toute personne ayant grandi dans le royaume, ou presque, est capable de fredonner. Parmi elles Lille kat, Pippis sommarsång, Idas sommarvisa ou Du käre lille snickerbo. A écouter ici et à voir là (Idas sommarvisa):
"J'espère que les enfants vont être attirés par la musique improvisée grâce à des mélodies qu'ils connaissent déjà. Ils comprendront alors peut-être comment on peut improviser autour d'elles", avance le contrebassiste qui l'âge d'être (et qui est déjà!) grand-père.
A juger par le talent de Sarah Riedel, montée avec son père sur la scène du festival de Stockholm, on se dit que la recette de Georg n'est pas si mauvaise que ça... Dès l'âge de cinq ans, elle participait à l'enregistrement d'un disque, Världens bästa Astrid (La meilleure Astrid du monde), dédié à la "maman" de Pippi, bien sûr. Après s'être un peu cherchée, la blonde Sarah a creusé son sillon dans la musique, versant oral. Il y a deux ans, elle sortait un disque avec son père, Hemligheter på vägen – svensk lyrik i jazzformat (Footprint Records). Puis la voilà qui vole de ses propres ailes depuis cette année, avec un 1er disque solo, Memories of a lost lane (chez Parallell). Mélancolies sur écrin de cordes. Est-ce du jazz? Pas au sens strict du terme, si tant est qu'il y en est un. A 27 ans, Sarah Riedel, nommée "découverte de l'année" 2010 dans son pays, fait précisément partie de ces jeunes générations dont je parlais en introduction. La voici en train de pousser la chansonnette sur un mini-ferry qui fait la navette entre des îles de Stockholm:
Toujours pour susciter les vocations, on peut aussi proposer à des enfants de dessiner. Le plus souvent, ça accroche bien. Le festival de jazz de Molde, l'un des mieux installés en Norvège (il fête son demi-siècle cet été), organise depuis quelques temps un concours parmi les élèves de la commune: celui de la meilleure affiche pour le festival. La vainqueur de cette année, Tuva (photo), verra son oeuvre imprimée sur 1000 t-shirts taille môme. Tous les petits camarades de classe de Tuva en recevront chacun un, ainsi que de la glace à déguster ensemble...
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